Overblog Tous les blogs Top blogs Lifestyle
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Header cover

Le vétérinaire et la Mort (Part.2)

La mort fait partie de mon quotidien de vétérinaire, je l'ai déjà expliqué dans la 1ère partie de ce sujet, vaste et morbide. Elle revêt un aspect particulièrement perturbant lorsqu'elle frappe l'un de mes semblables (j'entends par là, une personne qui exerce le même métier que moi, et plus précisément, dans les mêmes conditions. Car être vétérinaire, ce n'est pas forcément soigner des chiens et des chats, ou des veaux-vaches-cochons).

La maladie peut bien sûr toucher n'importe qui, c'est une loterie. Je ne dis pas que ça me laisse indifférente, mais pour moi, la mort qui emporte un malade gravement atteint, c'est dans l'ordre des choses. Enfin, si on veut...la vie est quand même une sacrée garce (pardon)!

La mort accidentelle me heurte déjà plus, parce qu'elle arrive brutalement et touche souvent un individu qui n'aurait jamais dû disparaître à cet instant de sa vie. Paraît que c'est le karma... je veux bien le rencontrer le karma, pour lui dire ma façon de penser...

Mais la palme revient au suicide, qui semblerait toucher tout particulièrement notre profession. Et l'une des raisons est que nous avons, nous praticiens, accès facilement à des dispositifs et des produits avec lesquels on peut (assez) aisément tirer sa révérence...

Parce que oui, c'est finalement assez simple, après une journée particulièrement difficile, après avoir avalé des couleuvres pendant une période trop longue, de se poser une voie veineuse et de s'injecter un produit utilisé pour euthanasier nos patients... On est plutôt adroits de nos mains, nous les vétos, donc techniquement c'est un un jeu d'enfant!

Mais comment!? Comment en arrive-t'on là? Pour moi cela reste un mystère. Je ne suis pas, comme un certain nombre de mes collègues, hypersensible, trop empathique, hantée par mes échecs. Si j'avais dû abandonner ce métier à la 1ère grosse boulette sur un patient, je n'aurais pas fait long feu. J'ai été éduquée à remonter en selle immédiatement après une chute, quelle que soit la brutalité du choc. On parle d'une époque bien avant les années 2000... J'aurai l'occasion de revenir sur mes débuts peu glorieux dans cette profession, mais ce n'est pas le sujet.

Revenons à nos moutons: la Mort...du vétérinaire. Mais qu'est-ce qui peut bien pousser une personne intelligente et qui exerce un si beau métier, à se foutre en l'air? Cher lecteur , il faut m'excuser pour ce langage fort peu châtié, mais c'est un tel gâchis!

Ci-dessous une piste :

Mais comment peut-on en avoir ras-le bol d'exercer ce boulot qui attire de nombreux enfants (et adultes, si!si!, il faut le noter)? Qui n'a pas rêvé de passer tout son temps avec des animaux au cœur pur, et encore mieux des bébés animaux encore plus innocents? Et encore mieux (il y a toujours mieux), des animaux en voie de disparition dans des pays exotiques , pour participer à leur sauvegarde, en mode safari humanitaire?

Moi c'est Clarence le Lion et son strabisme qui, selon la légende familiale, seraient à l'origine de ma vocation. Pourquoi pas 🤷‍♀️

Le vétérinaire et la Mort (Part.2)

Une autre piste: en fait, notre société vend du rêve, quant à cette profession si séduisante. Car la réalité est bien plus terre à terre. Si la majeure partie de notre temps, nous soignons des animaux plutôt sociables (je parle de mon métier de vétérinaire canin) avec des propriétaires dans la norme, ni plus ni moins agréables que dans toute clientèle de profession de services, nous sommes quand même régulièrement confrontés à la bêtise , l'irresponsabilité, l'agressivité (et plein d'autres qualités, la liste est longue) d'individus qui sont persuadés que non seulement nous devrions, nous vétérinaires, travailler gratuitement, mais aussi selon leur bon vouloir.

Qui n'a jamais lu un avis google mettant en cause la probité d'un de nos confrères, jugé sur la place publique parce qu'il a juste osé refuser de se plier à une demande déraisonnable, a réclamé des honoraires alors qu'il est censé aimer les animaux et donc travailler gratuitement, a refusé de délivrer au comptoir des traitements, alors que la réglementation du médicament nous interdit cette délivrance sans avoir examiné le patient...et j'en passe.

L'impunité dont certaines personnes s'imaginent jouir derrière leur écran d'ordinateur se manifeste régulièrement par des campagnes de dénigrement sur la toile, avec une surenchère de méchanceté gratuite, voire des appels à lui faire du mal (et à ses proches aussi, tiens, c'est plus marrant), qui malheureusement peuvent conduire un praticien fragile à commettre l'irréparable. Ce type de bashing a connu une escalade depuis la crise Covid. Comme si cette période avait cristallisé tous les excès dont notre société est capable, et notamment, cette malveillance , avec un "effet meute" qui me fait penser au livre de Todd Strasser.

Le vétérinaire et la Mort (Part.2)

On parle beaucoup depuis plusieurs années du harcèlement scolaire, des agressions de rue, dans les transports, etc. La presse fait régulièrement ses gros titres sur des faits divers d'agression, sur des commerçants, des soignants, des enseignants... Notre société va mal, et nous vétérinaires sommes en lien direct avec les propriétaires d'animaux, susceptibles de vriller et de se transformer en agresseurs. Nos seules armes sont notre sang-froid, la possibilité de faire une déclaration d'incivilité auprès de notre ordre professionnel, et de signifier une rupture de soins. Il ne suffit pas en effet de mettre un indésirable à la porte, il faut presque demander l'autorisation de ne plus avoir à subir un client malfaisant.

Il existe des associations d'aide, qui sont précieuses pour soutenir les confrères qui vont mal, mais encore faut-il qu'ils aient la volonté de demander de l'aide. Celui qui se suicide est celui qui ne voulait pas se rater...Il est paradoxal à postériori de reconnaître que souvent, en cas de suicide, il n'y avait pas de signal de détresse évident.

Finalement, bien que je sois dépitée de lire les chiffres d'abandon de la pratique dans les 5 années qui suivent l'obtention du diplôme (et sans nuancer ici les causes de cette désaffection qui sont multiples), je me dis qu'il vaut finalement mieux changer de métier que d'en mourir...

J'en finis là avec ce sujet aussi vaste que sombre, avant de perdre ma bonne humeur légendaire (on ne rit pas au fond!). Promis, le prochain article sera moins déprimant...Bisous!

 

Le vétérinaire et la Mort (Part.2)
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article