Une petite mise à jour de cet article qui reprend en quelque sorte la génèse de mon choix de vie d'adulte alors que j'étais encore gamine. Ce long weekend et le tête-à-tête avec mon grand garçon, pendant ces longues heures au volant pour retourner aux sources, a été l'occasion d'une sorte de pélerinage.
Cette année, le weekend de l'ascension est aussi le 10ème anniversaire de la disparition de mon père, qui selon la légende familiale aurait envisagé jeune homme de devenir vétérinaire, pour ensuite tenter médecine et finir par travailler dans une banque...
La mort est un sujet idéal pour un jour de Toussaint, je n'avais pas prévu de poster aujourd'hui quand j'ai commencé à écrire dessus.
Encore une fois je découpe un sujet, parce qu'il est impossible de seulement l'effleurer en quelques lignes, mais surtout ce sujet s'aborde selon plusieurs points de vue (les fameux POV des réseaux sociaux... il m'a fallu quelques instants pour comprendre cet acronyme 🙈)
Je vais donc commencer par la mort dans mon quotidien de vétérinaire: celle de mes patients bien entendu, mais aussi un rapide souvenir de mes 1ères confrontations à la mort.
J'étais trop jeune pour me souvenir de notre unique chien de famille (réformé de l'armée, destiné à nous protéger lors de notre vie dans le Maghreb, dans la montagne Tunisienne à la fin des années 60), mort jeune d'un cancer du foie (résumé de mes parents, diagnostic posé par le vétérinaire à vaches dans le village de mes grand-parents avec les moyens de l'époque (1974)).
La mort se résumait pour moi, jusqu'à l'entrée à l'Ecole vétérinaire en 1989 , au cercueil de mon grand-père paternel (j'avais 7 ans), et au profond dégoût ressenti lorsque le voisin de mes grand-parents maternels (habitants d'une modeste maison mitoyenne dans une cité du bassin minier de Lorraine) avait trouvé très malin de nous montrer, à mon frère et à moi, comment se débarrasser de la couvée toute fraîche d'une minette qui avait eu la mauvaise idée de venir mettre bas sous une haie. Ce sombre imbécile, probablement déjà bien alcoolisé en pleine journée, les fracassait contre un muret, ignorant les miaulements désespérés de la pauvre chatte.
Il faut rappeler que ces forçats que sont les mineurs avaient une hygiène de vie assez médiocre, avec pour résultat un discernement assez improbable, j'en ai été témoin pendant mon enfance...
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Bref, après ce choc, je pense avoir à ce moment-là commencé à douter de la bonté naturelle de mes semblables. C'est en partie cette méfiance qui m'aura naturellement menée sur la voie des soins aux animaux plutôt qu'aux humains. J'ai bien noté à plusieurs reprises "chirurgien" sur les petites fiches à remplir à la rentrée à l'école primaire puis au collège, histoire que l'enseignant puisse bien faire remarquer que "Kevin, pour devenir pilote de chasse, il va falloir obtenir plus que 5 de moyenne générale!" (les prénoms et les noms sont modifiés dans mes textes pour les excellentes raisons que vous connaissez). Je savais déjà que la relation patientèle-chirurgien se résumait à un morceau de corps à découper sous un drap, donc pas de bla-bla inutile ni d'effort de socialisation et de politesse à produire. Bon je notais aussi architecte...mais là...je ne vois pas d'où ça me venait 🙄.
Au cours des 4 années qui ont suivi, j'ai bien entendu vu mourir ou constaté le décès de nombreux patients. J'ai aussi assez mollement fréquenté les salles d'autopsie, plus assidument pendant l'année que j'ai passée dans le service de chirurgie un an après la fin officielle de nos études, en parallèle de la rédaction de ma thèse. Je n'ai pas vécu de traumatisme particulier, en tout cas je n'ai gardé aucun (mauvais) souvenir de ces morts. Peut-être que si je me soumettais à une séance d'hypnose, le résultat serait différent, qui sait...(à cette époque, j'ai sauvé et biberonné plusieurs chatons, peut-être était-ce une façon inconsciente de panser mon âme).
L'enthousiasme des 1ères années, mais aussi le choix de commencer ma pratique en milieu plutôt rural, m'a certainement appris à relativiser mes échecs, à mieux les gérer (un peu comme on pousse la poussière sous un tapis). Dans les fermes, la vie et la mort se côtoient peut-être plus naturellement que dans les milieux citadins plus feutrés (pas tous, mais j'y reviendrai). Cette période de ma vie professionnelle ne brille pas par la qualité de mon travail, mais je faisais preuve de bonne volonté, de pugnacité aussi (mot poli pour dire que j'étais et suis restée têtue comme une mule).
Je n'ai pas là non plus de souvenir marquant ou traumatisant lié à la mort d'un patient. Il faut dire que j'ai fait tellement d'erreurs (j'en fais encore, mais comme je suis plus réfléchie, j'espère un peu moins quand même...) que forcément , ça tombait comme des mouches. Pas de pénurie de vétérinaires en ce temps là, je m'estime chanceuse d'avoir trouvé à travailler régulièrement , mes nouveaux patrons négligeant souvent la case "penser à appeler les précédents employeurs pour savoir qui on embauche".
Et puis, après cette année passée à jongler entre la chirurgie, la thèse et un emploi à mi-temps dans une clinique mixte (soignant à la fois les petits et les grands animaux, pour les non-initiés), j'ai basculé du côté obscur de la médecine vétérinaire: la pratique canine exclusive(chiens et chats, et très accessoirement NAC, ce que je déteste).
On ne vit pas la mort des gros et des petits animaux de la même façon. Ce n'est pas une question de volume. Euthanasier une vache crevarde , c'est certes lui éviter des souffrances supplémentaires, mais c'est surtout participer à une perte économique pour l'éleveur qui la possède. On ne consomme pas la viande d'un animal malade et/ou euthanasié, cela relève du bon sens mais surtout de l'hygiène alimentaire (et là j'entends s'élever le murmure outré des défenseurs de la cause animale : "on ne mange pas de viande, vivante ou morte!!!" 🙄). C'est en tout cas une perte sèche pour le paysan.
Pour moi, la mort d'un chaton, par euthanasie à la naissance parce que le propriétaire négligent de la mère chatte a préféré ne pas la faire stériliser (surtout parce que ça engraisse ces voleurs de vétérinaires, oui j'ose l'écrire), mais par contre ne veut pas s'em....rder à en prendre soin et le placer , c'est beaucoup plus violent. Une vache qui avale un clou dans sa ration de foin et va faire une péritonite sur corps étranger, c'est un évènement indépendant de la volonté de son propriétaire, qui tire de sa bête une partie de son revenu. Par contre la connerie du propriétaire de la minette, c'est juste de la connerie. Et c'est le vétérinaire qui doit réparer la connerie!
Je fais une pause en image, parce que 3 fois le mot connerie en 2 lignes, c'est difficile à métaboliser!
J'aborde maintenant cet aspect de mon métier que je déteste (avec les gardes, mais c'est un autre sujet): la fin de vie de mes patients. Enfin, quand j'écris "patient", je sous-entend l'animal que je suis depuis plusieurs années, voire toute sa vie, et que j'ai accompagné jusqu'à la fin, fin que j'accélère quand cela devient nécessaire et que les propriétaires sont arrivés à la même conclusion que moi. On arrête les frais (dans tous les sens du terme). Cette mort là m'attriste, mais elle est bienvenue, je l'accompagne, je la rends (je l'espère) moins pénible pour celui qui part et un peu moins pénible pour les humains qui restent. Je suis triste, mais je m'en remet. J'ai cette faculté à absorber, métaboliser et stocker ce genre d'évènement sans que cela impacte ma santé mentale (disons que m'en convaincs).
Ce que je vis par contre très mal, c'est la fin de vie de ces animaux qui me sont amenés pour la 1ère fois, ou que je n'ai pas vus depuis fort longtemps, avec cette demande d'euthanasie qui à chaque fois me révolte. Je suis vétérinaire, pas bourreau ni fossoyeur! Le propriétaire (que je qualifie arbitrairement de négligent abruti dans ce cas de figure) ne m'aura laissé aucune chance préalable de diagnostiquer une pathologie, qui bien que sévère parfois, aurait pu être prise en charge avec une fin de vie plus douce. C'est donc épisodiquement que le rendez-vous en question concerne un chien ou un chat (plus souvent des chats je trouve) qui arrive dans un état catastrophique, la peau sur les os, lyophilisé (état de déshydratation juste avant le stade momie), puant l'urée (le pipi, le caca, ou tout autre émanation déplaisante), parfois avec tellement de pus dans les yeux qu'on doute de leur existence, et même parfois avec des asticots quand c'est la saison estivale.
Et là, je vrille, Dr Jekyll devient Mrs Hyde. J'avais promis à la cantonade que le passage des 50 ans me dédouanerait dorénavant de dire ce que je pensais, je mets cet adage à exécution: il est hors de question de me demander de commettre un meurtre sans en subir les conséquences. Après tout, un tueur à gage exige des honoraires à la hauteur de la tache qui lui est demandée! (non je n'exagère pas du tout, que celui qui trouve que je fais ma diva se lève, et vienne faire le sale boulot à ma place!)
J'exprime donc ici toute ma colère, et tout mon dégoût pour l'humain lâche, radin, inconscient, neuneu, criblé de problèmes personnels, en bref toute la liste possible de mauvaises et très mauvaises excuses pour expliquer l'état de son animal. A quel moment on laisse un humain moisir à ce point avant de se réveiller?
Vous me direz certainement que je ne connais pas le parcours de vie de la personne, bla-bla-bla. Pour dix de ces consultations, je parie que moins de une personne est réellement dans une détresse telle, qu'elle a négligé les soins minimums pour son compagnon de vie. Et dans ce cas, il peut s'agir malheureusement d'un cas de maladie psychiatrique (Alzheimer , syndrome de Diogène, ou autre).
Je peux vous assurer que dans la grande majorité des cas, ce sont des gens tout à fait normaux (enfin, aux yeux de la société, parce que pour moi, c'est niet abrutis).
"On vous l'amène, c'est la fin, on ne veut pas le voir souffrir!
-Vous avez raison, la souffrance dure déjà depuis trop longtemps vu son état (après un examen clinique ou le thermomètre n'a même pas daigné se mettre à compter...il commence à 32°...)"
C'est ma petite vengeance personnelle...je reste soft et je serre les dents , mais je ne fais preuve d'aucune compassion. De quel droit mériteraient-ils une médaille pour avoir gardé leur chat insuffisant rénal qui vomit depuis des semaines jusqu'à son 17ème anniversaire? Ils pensaient entrer dans un livre de records? A part celui de la bêtise, je ne vois pas quelle catégorie pourrait les accueillir...abrutis (j'arrête promis)
Cher lecteur, tu auras compris que ce sujet est ma kryptonite, et là je lâche l'affaire.
Entre le moment où j'injecte un sédatif à la pauvre bête et l'injection létale (que je fais là où je peux 😪), je me replie dans le labo et je balance toutes les injures qui me viennent à l'esprit (mes pauvres collègues en ont les oreilles qui saignent, les "sa mère la pute", "putain", "font chier", "salopards" fusent, ça me détend...un peu)
Cette mort qu'on m'impose alors que j'aurais pu me rendre utile à la vie, si on m'en avait laissé l'opportunité, est probablement ce qui me met le plus en colère. Je ne prétends pas que j'aurais fait du neuf avec du vieux (expression has been que je sers assez volontiers aux personnes qui veulent me faire croire que je suis Dieu 🤨), mais j'aurais adouci les vieux jours, j'aurais fait de mon mieux, voilà!C'est ça!
Les sujets de colère ne manquent pas, certains seront abordés dans la suite de ce sujet hautement sensible.
Globalement, ce qui est décidé par autrui sans qu'on m'ait demandé mon avis au préalable, et qui peut me nuire personnellement, me met en colère.
Pour se remettre de tout cela, et pour contrebalancer toute cette négativité (on ne peut quand même pas ne pas évoquer les sujets qui fâchent n'est-ce pas?), je vous propose une cure de relaxation de matière grise en mode:
"On se calme et on boit frais à St Tropez" (pour les adeptes de Max Pecasse, grand réalisateur de nanars de son état 😂)