Le contexte économique et social, et globalement la situation géo-politique de la planète toute entière, m'a incitée à patienter avant d'écrire. En effet, comment ne pas être influencée par tout un tas d'évènements plus déprimants les uns que les autres et comment trouver l'inspiration pour partager mon quotidien de vétérinaire pratos de base sans ressentir un désespoir profond:
-Élections américaines: comment en est-on arrivés là?
-Guerre en Ukraine: pourquoi en est-on encore là?
-Ingérence de la Russie: pourquoi ce grand malade a-t'il autant de pouvoir?
-Effondrement de l'économie mondiale,européenne et française en particulier: pourquoi aucun politique à ce jour n'a réussi/souhaité faire preuve de courage politique pour mettre de l'ordre dans le portefeuille d'un pays qui dilapide larga manu depuis des décennies?
-Mort du Pape François: est-ce que Léon va faire des étincelles?
La liste est longue d'incohérences, voire d'énormes erreurs, tant sur le plan politique qu'économique, et malheureusement l'une ne va pas sans l'autre. Et nous pauvres travailleurs/entrepreneurs/chefs d'entreprise ne pouvons que faire le dos rond et subir un climat et une fiscalité de plus en plus lourds, puisqu'il faut bien la maintenir cette économie, quel que soit le gouvernement qui joue aux billes avec!
Je suis donc restée en retrait, rongeant mon frein, un peu comme la vache qui rumine en regardant passer le train...bref, vous voyez l'image. Sauf que la vache ne réfléchit pas, moi si. Et les sujets de réflexion sont légion, ils sont aussi source d'énervement la plupart du temps, et ce uniquement concernant mon sujet favori.
J'ai beau chercher, rien ne m'incite à sourire, je ne vois pas de ciel bleu à l'horizon, au mieux du gris. Oui c'est triste, et ce blog n'a jamais été dédié à être un déversoir à idées sombres. Mais pour l'heure, c'est quand même un peu le cas, et je le regrette.
Je vais donc ici juste m'appesantir sur un de nos derniers sujets de conversation entre "vétos"-"conjoints"-"associés" dans cette vaste galère qu'est la vie de couple quand on exerce le même métier mais pas de la même façon": la frénésie de la tarification des actes vétérinaires.
J'ai déjà abordé ce sujet il y juste 1 an:
Artcile datant d'un an tout juste, un signe?
De multiples reportages plus ou moins à charge et annoncés avec des titres "putaclic" (racoleurs pour les puristes) ont été et sont régulièrement diffusés, soit isolément , soit pendant des émissions sur le sujet des animaux de compagnie et de tout le business qui en découle. Et on ne va pas se mentir, ce business reste et restera encore juteux, malgré la détérioration du climat socio-économique. Et pourquoi? Parce que l'animal de compagnie est devenu un membre de la famille pour de nombreux concitoyens.
Le rapport du français avec son chien et/ou son chat est un phénomène qui a beaucoup évolué en quelques décennies. Et parallèlement, les services et notamment de santé et de bien-être proposés pour les chouchouter ont, eux aussi, énormément évolué. Et même si on restera ici concentré sur le domaine de la santé sensu stricto, il faut reconnaître que l'offre de services est devenue comparable à une prise en charge pour un humain. A la différence qu'il n'y a pas de sécurité sociale pour nos poilus...ce que certains clients relou se chargent de me faire remarquer 🙄 (si je vous donne ma carte vitale, ça ne va pas fonctionner?! Ha!Ha! Merci pour cette franche rigolade!)
Quand j'ai commencé ma carrière, on en était aux balbutiements de la médecine et de la chirurgie de pointe. Certaines maladies étaient à peine connues (la PIF par exemple ou péritonite infectieuse féline). La greffe de rein, la chirurgie à cœur ouvert ou du cerveau, le scanner et l'IRM, la dialyse entre autres, étaient encore de l'ordre de la science fiction. Aujourd'hui, à défaut d'être accessibles financièrement, ce sont des procédures qui peuvent être proposées relativement aisément.
Relisez bien ma phrase: "à défaut d'être financièrement accessibles..."
C'est là que nos échanges récents et ma réflexion permanente sur mon métier m'ont menée: qu'est ce qui est arrivé à l'art vétérinaire? J'ai vécu des grand-écarts dans ma formation , un peu moins ensuite tout au long de mon parcours, à partir du moment où j'ai abandonné les animaux dits de rente. J'ai cependant du mal aujourd'hui à m'imaginer à nouveau étudiante avec les défis que cela implique.
A défaut de tout recommencer à zéro (et parfois je me dis que ce serait certainement nécessaire certains jours), je vais régulièrement en conférence/congrès pour mettre à jour mes connaissances (contrairement à moi elles ont tendance à maigrir spontanément, il faut donc leur apporter une nourriture riche, très riche, et régulièrement). Et c'est souvent à l'occasion de ces remises à niveau que je vois se creuser le fossé, que dis-je, l'abîme! entre moi (je rappelle: pratos de base) et ceux qui savent: les fins connaisseurs du diabète sucré félin, de la maladie rénale chronique, de l'imagerie, et j'en passe. Les arbres décisionnels fleurissent sur les power points, la liste des examens complémentaires défile comme un générique de fin de film au cinéma, interminable, les acronymes des paramètres à tester me donnent le tournis, mais au final, il me manque toujours l'information essentielle: combien ça va me coûter pour acquérir les équipements nécessaires et combien ça va coûter au propriétaire? Et si je ne fais pas tout ça, est-ce que mon patient est condamné parce que son propriétaire m'a choisie moi, et n'est pas allé directement dans une structure ultra-équipée, ultra-compétente, ultra-présente (même la nuit, même les weekends, même à Noël qu'on a pas fêté en famille pendant 15 ans parce que cette structure n'existait pas et qu'on était pris en otage par la pcs, vous savez la fameuse: permanence et continuité de soins...)?
Bien sûr quand j'ai choisi ce métier, j'avais une vague notion qu'en principe je n'allais pas trop galérer pour payer mes factures. Quoiqu'ayant financé la plus grosse part de mes études, je démarrai ma carrière avec un handicap certain. Cela ne m'a pas empêchée de me former correctement , en me serrant la ceinture et en retardant le moment de m'installer, jusqu'à avoir une certaine assurance que je pouvais naviguer seule (en fait à deux puisque j'ai embarqué ma chère associée avec moi dans cette aventure unique de l'entreprenariat).
J'avoue que, cette vocation chevillée au corps depuis l'enfance, j'avais mis de côté toute considération financière quant au "comment exercer mon métier en étant à mon compte", ce qui était le but de ma génération et des précédentes . Quand on est un enfant, l'argent est synonyme de Monopoly, sous forme de petits billets avec de jolies couleurs. Etant d'origine modeste, le manque d'argent chronique pendant mes études et mes 1ères années de labeur en faisant des sauts géographiques entre deux remplas et assistanats, n'a jamais été source de souffrance. L'essentiel pour moi était d'acquérir de l'expérience et de trouver le point de chute ultime: là où je poserai mon stéthoscope définitivement, jusqu'à la fin de ma carrière.
Revenons à nos moutons (je m'égare souvent, c'est l'âge!): le coût des soins. Dans mon précédent article sur ce sujet épineux (datant donc de 1 an), j'expliquais que l'évolution de notre métier et de nos moyens de prise en charge justifiait des coûts qui restaient globalement accessibles, puisque le praticien généraliste que je suis sait doser le montant de ses honoraires.
Je ne reviendrai pas sur cette explication. A la fin de nos études, lors de notre remise de diplôme, nous prêtons serment, le serment de Bourgelat, un peu comme les médecins le serment d'Hippocrate. Il y est notamment question de tact et de mesure, ainsi que de l'honneur de la profession.
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Je vous invite à lire l'article suivant (si vous êtes abonnés, sinon on le trouve facilement retranscrit)
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RÉCIT - Ils sont portés par l'attachement croissant que vouent les propriétaires à leurs animaux de compagnie, et par le développement d'une offre plus pointue.
Quand est-ce que ça a dérapé?
Pour vous faire un résumé, c'est une liste non exhaustive de procédures qui coûtent bonbon mais sauvent la vie de patients qui sinon seraient condamnés, en tout cas à court terme pour certains (j'ai déjà abordé dans un autre article mon rapport à l'acharnement thérapeutique). Et leurs propriétaires sont loin d'être même des cousins de la famille Bettencourt pour ce qui est des moyens financiers. Mais ça , à la limite, qui suis-je pour en juger?
Après tout, si une personne aime assez son chat ou son chien pour s'endetter afin de payer une procédure aussi chère, c'est son choix...Mais est-ce vraiment le cas? Dans cette société où tout est mis en avant, comme si c'était possible pour toutes les bourses (pour certaines en s'endettant déraisonnablement, mais après tout si on trouve un financement c'est que c'est faisable), doit-on vraiment proposer tout ce qu'il est humainement possible de faire pour prolonger coûte que coûte la vie d'un animal de compagnie? En sachant quand même vaguement que cette personne risque de se retrouver dans une certaine précarité en faisant ce choix, non?
J'avoue que pour moi dans ce genre de situation, la notion du vétérinaire "bon père de famille" s'évapore comme neige au soleil.
Bien entendu je ne dois jamais décider à la place de mon client du niveau de soins qu'il souhaite pour son compagnon. J'aimerais juste que cette conscience de la limite raisonnable soit chevillée au corps de toute personne qui exerce le même métier que moi.
Et bien entendu il ne s'agit pas ici de critiquer un niveau de prise en charge qui évolue dans le sens de nouvelles procédures porteuses d'espoir. Mais il y a une différence entre proposer un traitement alors qu'il n'y en avait aucun avant, et brandir comme gold standard des procédures, en remplacement de celles qui jusqu'à présent ont donné satisfaction pour un coût moindre.
A l'époque où j'ai choisi cette voie, la rémunération du vétérinaire n'était pas dans ma liste de critères. Bien entendu, j'ai rapidement été rattrapée par l'aspect financier de la vie d'adulte, et avec le temps j'ai pu obtenir une rémunération qui me semble être en adéquation avec mes investissements dans mon travail (en temps, matériel, personnel, risque, niveau d'offre de soins). Bien que la pression fiscale m'oblige à penser rentabilité, j'essaye de ne pas perdre de vue ce que le budget soin pour un animal peut représenter pour un particulier, et évidemment j'échange sans langue de bois sur ce sujet. Et je déplore parfois l'inconscience de certains maîtres.
Je n'incite pas à surconsommer, je propose ce qui me semble pertinent et motivé, en essayant d'appliquer au mieux les données actuelles de la science. J'ai d'ailleurs l'obligation d'informer mes clients de toutes les possibilités de prise en charge, et je réfère si je pense que le spécialiste sera le seul à même de faire une proposition adaptée. Espérons que cette relation de confiance perdure dans le temps.
Je suis donc comme le ruminant qui regarde passer l'engin à moteur, je vois cette pratique vétérinaire foncer vers l'avant, vers le toujours plus: plus technique, plus cher, et je me dis que je n'aimerais pas démarrer ma carrière aujourd'hui, avec l'épée de Damoclès de la rentabilité à tout prix imposée par une financiarisation de la prise en charge des soins à nos compagnons de vie, au détriment de la raison parfois.
J'aime mon métier, mais je ne suis pas sûre d'aimer ce qu'il pourrait devenir si ces notions que sont l'éthique, l'honneur, la mesure et d'autres du même acabit, venaient à disparaître.