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Pourquoi s'acharner? Ma notion de l'acharnement thérapeutique.

Gersey, 13 ans...Pour elle je ne lâcherais rien, quoique ...

Gersey, 13 ans...Pour elle je ne lâcherais rien, quoique ...

J'ai eu beaucoup de mal à écrire sur ce sujet, étonnamment plus de mal que sur la mort, comme si tourner autour du pot était définitivement quelque-chose que je n'arrive pas à faire. De par mon caractère (que d'aucuns qualifieront "de cochon", et pas en mode érotique), et parce que comme je l'ai déjà écrit j'avance de préférence en ligne droite, je mets rarement des gants pour dire ce que j'ai à dire. En vieillissant (si peu), j'ai quand même appris à en mettre pour frapper, ça fait moins mal, ma victime encaisse un peu mieux.

Pour en revenir à cet article précisément, deux évènements récents m'ont motivée à en poursuivre sa rédaction (en mode coup de pied au cul): Love et Mina, une chienne et une minette. L'une affligée d'une supposée tumeur extrêmement agressive, avec des propriétaires fidèles clients de longue date et adorables, l'autre suivie depuis plus de 2 ans, pour plusieurs maladies chroniques dont l'empilement a fini par avoir raison, avec une propriétaire hyper investie et confiante en mes compétences de soignant. Deux cas pour lesquels l'acharnement thérapeutique a été discuté et réfléchi avec les propriétaires, et pour lesquels mon optimisme et mon engagement de praticien ont été mis à rude épreuve (sans parler de ma frustration et de l'écho que ces cas ont eu en moi).

Ça aurait été Love bébé... Chip's de mon amie Carole.

Ça aurait été Love bébé... Chip's de mon amie Carole.

Vaste sujet, qui rejoint celui de l'euthanasie... et en médecine humaine ce sujet-là reste très très casse-gueule et clivant. Parce que contrairement à la médecine humaine, en médecine vétérinaire le sujet c'est vraiment celui de l'acharnement. Aucun patient n'est en capacité de dire "stop! je souffre trop je veux qu'on arrête et qu'on me laisse partir!" alors qu'on a le droit de procéder à l'acte final. Bien entendu en médecine humaine, certains patients ne peuvent pas non plus s'exprimer et n'ont pas toujours donné d'instructions avant de ne plus pouvoir communiquer avec leur entourage. C'est donc aux proches de décider s'il convient de le maintenir en vie coût que coûte.

Revenons aux animaux, et donc à leurs propriétaires, dont certains n'ont manifestement jamais entendu parler de ce concept: l'acharnement thérapeutique.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2214567221000375

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2214567221000375

J'ai déjà eu l'occasion de m'agacer sur les personnes qui sous couvert de "ne pas faire souffrir inutilement" ont bien attendu le dernier moment pour me mettre au pied du mur et m'extorquer (ce n'est pas exagéré, non, non) une euthanasie. Ici je veux évoquer ceux qui ne veulent rien lâcher, qui pensent probablement aimer plus leur animal et le prouver en poussant les soins au-delà de ce qui est raisonnable.

J'ai moi-même été dans la situation de devoir "arrêter les frais", et pourtant pour mes bestioles, je suis certainement plutôt un profil acharné. Mais par chance, ma moitié est plus raisonnable que moi et sait me dire stop si les circonstances l'imposent.

Myrtille la douce et belle Sacrée de Birmanie, le jour de son départ

Myrtille la douce et belle Sacrée de Birmanie, le jour de son départ

Je comprends que l'annonce d'un pronostic désespéré, le constat que la totalité des options thérapeutiques a été utilisée, ou que le score de souffrance du patient n'est plus compatible avec la vie, déclenche : tristesse, colère, rébellion, déni, voire agressivité envers le soignant qui fait l'annonce. J'ai moi aussi traversé ces étapes, plus ou moins.

La place de l'animal de compagnie a beaucoup évolué dans notre société occidentale. On a pris l'habitude d'assimiler nos chats et nos chiens à des enfants. Combien viennent en consultation et parlent de leur compagnon en l'appelant "bébé"? ils ne sont pas rares. On peut donc s'attendre à ce que toute mauvaise nouvelle, ou constat de l'incapacité à guérir le patient soit mal vécu.

Heureusement, le développement de notre art nous offre aujourd'hui la possibilité de référer les cas lourds, ceux qu'on aurait condamnés faute de possibilité thérapeutique accessible. Face à un cancer ou à un cas qui relève d'une chirurgie peu ou pas maîtrisée par le vétérinaire généraliste que je suis, je sais que je peux compter sur l'expertise de collègues, compétents, équipés, disponibles. Je les en remercie.

Cependant, ces options sont à proposer à condition de peser la balance bénéfice-risque pour le patient, car je suis persuadée que même si je ne peux pas mener le parcours de soins à son terme, j'ai quand même la capacité de décider si ce patient est un bon candidat à pousser. Pousser les investigations, les soins, le budget de son propriétaire s'il souhaite en discuter avec moi avant de mettre la machine en route.

ima-care.fr/app/uploads/sites/2/2023/03/2018lyon117108782.pdf

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Et de la même façon que je dois proposer toutes les options possibles (c'est mon devoir d'information, intimement lié à mon obligation de formation continue pour toujours connaître, sans parler de maîtriser, les actualités diagnostiques et thérapeutiques), et cela sans préjuger des choix que feront les clients, je me dois de les avertir sur la notion d'acharnement thérapeutique.

Il peut être très compliqué de ne pas faire l'amalgame entre "douleur" et "souffrance"...et donc d'arriver à clarifier cette notion d'acharnement. Déjà en médecine humaine c'est compliqué, alors en véto...

La douleur est: une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes.

La souffrance est: le fait de souffrir, état prolongé de douleur physique ou morale.

L'acharnement thérapeutique est: le fait de pratiquer ou d'entreprendre des actes ou traitements inutiles pour maintenir en vie un malade condamné

On comprend bien ici que ces définitions s'appliquent plutôt au genre humain.

Je lis ici et là des témoignages de collègues déstabilisés par les euthanasies, qui les vivent mal, que parfois l'absence de volonté de soins de certains propriétaires révoltent. Je les comprends et je compatis. Une demande de fin de vie alors qu'il existe une solution ni très compliquée ni très onéreuse, ça fait râler (et je suis polie). A l'inverse, lutter pour éviter des souffrances (douleur? Pas douleur?) excessives et inutiles, c'est aussi épuisant moralement. On ne peut pas toujours raisonner les gens. Combien de fois ais-je eu le cœur serré en voyant repartir un patient que j'aurais souhaité accompagner, pour que (dixit ses propriétaires) il ait "une belle mort à domicile"... On ne va pas se mentir, la mort c'est moche et ça fait mal, et c'est rarement dans un sommeil profond après un endormissement apaisé...

Bref, je n'ai toujours pas trouvé la formule magique qui fait que prendre une décision dans un sens ou dans l'autre soit facile et sans arrière-pensée. C'est un des aspects que je trouve les plus ardus de notre pratique. Je ne m'étendrai pas plus sur ce sujet, que je sais douloureux et complexe.

 

PS: La mort est un sujet que j'aborde régulièrement, n'y voyez aucun attrait morbide de ma part .Y étant confrontée très régulièrement, je tente surtout de ne pas y devenir insensible. L'évoquer et mettre des mots sur sur les sentiments qu'elle m'inspire, m'aide à m'y confronter.

Toujours finir sur une note optimiste pour tenir le lecteur en haleine!

Toujours finir sur une note optimiste pour tenir le lecteur en haleine!

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