J'ai beau avoir de la bouteille (d'ailleurs: suis-je comme le bon vin, dont on dit qu'il se bonifie avec l'âge?... that's the question!?), je connais encore régulièrement des montagnes russes émotionnelles (en langage maman Montessori: des tempêtes émotionnelles. Tiens, je vais aller me rouler par terre au rayon jouet des Galeries Lafayette 😂...oups, je m'égare...vous avez l'habitude depuis le temps 🙄).
Cette semaine, j'ai vécu en direct live le cauchemar de tout vétérinaire qui aime son métier et ses patients (je précise, parce que il y a de gros vilains vétos qui n'aiment que l'argent et qui ne pensent qu'à dépouiller leurs clients...je m'égare encore, veuillez me pardonner, mais la semaine a été rude, alors j'évacue ce trop plein d'émotions)
J'AI PERDU UN PATIENT QUI N'AURAIT JAMAIS DÛ MOURIR !!!
Voilà...c'est écrit...
Je me flatte (intérieurement sinon ce n'est pas joli de se vanter!) d'être le pilier de ma structure, le roc sur lequel le reste de notre petite équipe peut se reposer pour gérer la complexité de notre quotidien, rêvé par le commun des mortels comme un métier de passion et forcément satisfaisant sur tous les plans. Ce qui est totalement faux!!! J'ai déjà suffisamment écrit sur le sujet pour que ceux qui se sont égarés ici (ils ont vu de la lumière et sont entrés) sachent maintenant qu'être vétérinaire (et aussi assistante vétérinaire), ce n'est pas une sinécure.
Mais comme un colosse aux pieds d'argile, dont la fragilité est maladroitement masquée par un aspect très robuste (on se calme, mon IMC reste correct), je peux tomber à terre. La question est alors: combien de temps va-t-il me falloir pour me relever et reprendre le cours de mon existence et surtout de mon activité?
Depuis longtemps maintenant, j'ai fait le choix d'exercer mon métier avec humilité, probité, honnêteté, conscience professionnelle, avec pour unique but le confort et la sécurité de mes patients, en tout cas les jours où je suis en capacité d'accomplir ce vœu pieu. Ce qui m'amène régulièrement à m'agacer, voire m'irriter, de l'absence de bon sens de mes concitoyens face à certaines situations que subissent lesdits patients.
Ici, il n'est pas question de propriétaire négligent, inconscient, ou pire encore. Ici il est juste question de malchance, d'étoiles mal alignées, de guigne, de tartine de bouse. Alors que toutes les conditions étaient réunies pour que ma prise en charge se passe bien, j'ai perdu ce patient. Son cœur a décidé de prendre des vacances alors que ce n'était pas prévu au planning. Comme ça, sans préavis, pendant le voyage à 12h de décalage horaire de ses propriétaires, qui m'avaient donné leur confiance. Confiance que j'ai bien involontairement trahie. A l'insu de mon plein gré comme plaiderait un certain Richard.
Je n'ai pu que faire le constat de cette goujaterie coronarienne (suspectée) sans annonce préalable. Tenter une réanimation aurait été aussi fructueux que d'essayer de remettre du dentifrice dans son tube. Inutile. Aussi inutile que de se dire, à posteriori, qu'il aurait fallu gérer autrement.
Je n'ai pas pleuré, j'ai encaissé, j'ai grattouillé la grosse tête poilue endormie pour l'éternité, et j'ai averti mes collègues. Parce que partager cette tartine de purin était une nécessité pour rassembler le courage requis pour la terrible annonce. Annonce avec décalage horaire je le rappelle.
Comment dire que leur chien est mort alors que quelques heures plus tôt il faisait son petit tour post-op tranquillou dans le jardin, enfin capable de faire pipi sans difficulté grâce à mon intervention? Comment les avertir après des nouvelles rassurantes et un compte rendu de prise en charge, plutôt positif même si toujours réservé jusqu'à ce que le retour à la maison soit validé? Je n'ai pas de formule magique. Je dis les choses, j'exprime ma stupeur, ma tristesse, qui se télescope avec l'énormité de mon annonce. Je me confonds en condoléances, bien consciente que j'ai semé le malheur alors que le but était de guérir leur chien.
Et puis, il a fallu continuer. Quand on tombe de vélo il faut remonter dessus aussitôt. Il paraît que si on tombe de cheval il faut faire ça aussi, j'ai quelques doutes, surtout si l'humeur de la bestiole est chafouine.
Le jour suivant: pose de cathéter hésitante, vérification, re-vérification, encore une autre vérification des doses de produits anesthésiques, contrôle permanent des constantes peropératoires, chirurgie sans tremblements mais alertes sur des détails habituellement anodins, surveillance presque paranoïaque du réveil et des constantes...épuisement émotionnel en moins d'une heure. Heureusement, la journée était courte cette fois-ci.
Je ne culpabilise pas, comme je l'ai noté plus haut, je m'attache à faire preuve d'humilité et d'honnêteté, ce qui veut dire que je n'entreprends rien que je ne suis pas capable de gérer et de mener au bout de la procédure. J'enrage que le hasard nous ait ciblés, ce pauvre chien qui n'avait pas demandé à mourir à 7 ans, et moi qui n'avait pas besoin de vivre un tel évènement. Il va me falloir du temps pour digérer, pas aussi longtemps que quand je perds un de mes animaux, mais un certain temps quand même.
Ses propriétaires me détestent certainement, et je ne leur en veux pas, c'est le jeu. Ils vont m'en vouloir, longtemps peut-être , et peut-être assez pour demander réparation. Mais leur chien vivant ne leur sera jamais rendu, quoi qu'il se passe. Il va falloir qu'ils vivent sans lui, de façon prématurée et injuste. Injustice que je partage puisque je n'avais pas planifié de prendre cette mort dans la tête non plus.
Pourquoi écrire sur ce sujet morbide? Qu'est ce que le schmilblick peut bien en avoir à faire?
De une ça me sert d'exutoire, ce n'est pas parce que je ne m'épanche pas sur le sujet qu'il ne m'atteint pas.
De deux c'est aussi pour écrire que le vieux singe que je suis devenue gère ce genre d'évènement (heureusement rare, mais qui reste très perturbant) très différemment de la façon que j'aurais eue de le gérer il y a quelques années. Et là encore la récurrente humilité de notre condition de vétérinaire y est pour beaucoup. Parce que de la même façon que l'expérience s'acquiert avec le temps, l'humilité s'étoffe avec les années (à défaut de mon compte en banque).
On dit aussi (mais "on" est assez souvent un con) qu'on apprend de ses erreurs. Sauf qu'ici, j'ai eu beau décortiquer, minute par minute, le déroulé de la funeste journée, rien ne semble anormal. Je m'aveugle peut-être inconsciemment pour éviter une prise de conscience trop brutale de mon incompétence. Je ne veux en aucun cas me retrouver en incapacité de pratiquer ce que je pense jusqu'ici relever de mes aptitudes, paralysée par la peur de mal faire, j'ai encore trop de missions à accomplir. Cette peur m'accompagne chaque jour que Dieu fait, j'ai appris à la dompter, à travailler main dans la main avec elle. Je prie pour continuer à la contenir à un niveau raisonnable (rien de religieux ni de mystique ici).
Je vous remets ici ce lien:
Mes réflexions sur la notion d'erreur
La réaction de l'entourage joue dans un cas comme celui-ci un rôle primordial dans le processus de guérison. L'échec quand on veut soigner ET guérir, est un cancer. Je le redis, j'ai de la chance globalement, je reçois tous les jours du soutien, de l'empathie, de l'amitié. Je reçois aussi de la maladresse, des remarques lunaires, des critiques formulées en mode "je ne dis pas ça méchamment" auxquelles j'ai juste envie de répondre "alors ne dis rien, c'est mieux!".
À mes jeunes (et moins jeunes) confrères (tous genres confondus), tout du moins pour ceux qui se remettent en question constamment et vivent leur métier tout neuf avec le doute chevillé au corps, en travaillant peut-être dans un environnement pas forcément clément, j'ai envie d'écrire:
"Vous n'êtes pas seuls, je suis passée par là et j'y passerai encore, ne lâchez rien, parlez-en, entre vous, autour de vous, avec moi, sur les groupes d'entraide, on est là pour ça. Vous avez besoin de moi, et moi un jour j'aurai besoin de vous!"